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La Méditerranée

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22 mai 2007

de la repentance

Les crimes commis à l'occasion de la colonisation doivent, tous et chacun d'entre eux, être condamnés et sanctionnés, sans ambages et sans restrictions. Surtout lorsque ceux qui les ont commis appartenaient au Royaume de France qui se réclamait de la chrétienté ou à une République née des Lumières et qui se prétendait civilisée. Mais de là à me repentir de crimes que je n'ai pas commis, c'est une autre histoire. Il faut en effet examiner de plus près la notion de responsabilité historique et collective. On a trop longtemps reproché au peuple juif d'avoir crucifié Jésus alors que cinquante personne au plus ont été mouillées dans cette affaire et l'Eglise a beaucoup tardé à exonérer de culpabilité le peuple juif dans son ensemble. De même, on ne peut reprocher au peuple allemand tout entier le nazisme et encore moins en rendre responsables ceux qui n'étaient pas adultes à l'époque. Pas plus que les Russes dans leur ensemble ne sont responsables de Staline ou les Chinois de Mao. Quand le crime est inscrit dans la loi, les Français du XVIIe siècle sont-ils par exemple responsables de l'esclavage parce que Colbert a instauré le Code noir sur l'esclavage ? Assurément non, mais le Ministre et ses collaborateurs, le Roi, ainsi que les dirigeants de l'Eglise qui auraient pu intervenir et ne l'ont pas fait. Ils auraient pu faire ce qu'a fait Barthélémy de Las Casas qui a protesté contre l'esclavage des Indiens. Peut-on incriminer l'Etat en tant que tel ? A mon avis, non, parce qu'il n'est qu'une fiction érigée en personne morale et qu'il n'est qu'une chose inerte aux mains de ceux qui, éventuellement, le manipulent. En l'occurence ce n'est pas l'Etat qui est responsable mais les fonctionnaires, les politiques, les juges, qui ont agi ou sont restés passifs, qui sont responsables. L'Etat ne me semble pouvoir être responsable que financièrement lorsqu'il faut réparer les dommages causés et qu'on ne peut obtenir réparation des vrais coupables. Encore faut-il, en plus, distinguer entre ce qui est coupable moralement et ce qui l'est juridiquement. On ne peut repreocher aux Turcs le génocide arménien si, à la date des massacres, la notion juridique de génocide n'existait pas. Les crimes en tant que tels n'en sont pas moins graves mais les coupables sont morts aujourd'hui et à part une reconnaissance de la vérité historique et la qualification de crimes, on ne peut rien faire de plus... Donc, point de repentance dans le vide mais ferme dénonciation de tous les crimes commis et poursuite énergique de leurs auteurs. Cela dit, il est juste de reconnaitre ce qui dans notre colonisation a été criminel et de le condamner fermement. Nous n'avons pas été des anges, tant s'en faut. Ce n'est pas abaisser notre pays de le faire, bien au contraire, je crois. Mais que ceux qui veulent des excuses balaient aussi devant leur porte et reconnaissent à leur tour les crimes qu'ils ont commis contre nous et surtout contre leurs peuples, au point parfois de faire regretter notre présence passée...
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25 avril 2007

l'identité de la France : identité ouverte ou fermée

Il existe une union intime entre la devise de la République, le peuple et la terre de France. La terre porte le peuple et le peuple a la charge et l'honneur de porter la devise. Dans les moments critiques de l'Histoire, dans les guerres, ou plus simplement dans la confusion nationale, il arrive que se rompe cette union : le peuple cessant de vivre sa devise, la France se détourne de lui, au risque que soit perdue la terre. Ainsi, la France est aux plaines d'Abraham avec Montcalm et les Québécois abandonnés par la monarchie. Elle est aux côtés de l'esclave haïtien brisant ses chaînes, contre les troupes de Bonaparte. Elle est à Londres avec de Gaulle, quand les autorités de Vichy ont répudié la devise. Elle est avec le Juif apatride conduit à la chambre à gaz, contre ceux qui, par faiblesse ou veulerie, l'ont livré. Contre notre inaction, elle est avec les enfants ruandais ou algériens qu'on assassine. Elle est contre nous, avec tous ceux qui attendent de nous que nous leur appliquions le devise que nous leur avons enseignée. Je crois bien qu'elle est avec beaucoup de francophones auxquels on refuse un visa, contre les chinoisiers, les tracassiers, les comptables et les racornis... ` De même que, comme l'adit Malraux, les idées ne sont pas faites pour être pensées mais pour être vécues, de même, la langue française n'est pas faite pour être un ramassis de mots vide de sens, mis en colonnes dans les dictionnaires ou même engagés dans la littérature, mais pour être le support d'une action concrète, capable d'apporter à ce monde plus de fraternité. Extrait de l'allocution prononcée aux Invalides le 1er octobre 1997 à l'occasion des obsèques de Philippe Rossillon.
13 avril 2007

COMMENT PEUT-ON ÊTRE FRANÇAIS ?

Au moment où les candidats à la présidence de la République débattent de leur conception de la citoyenneté et des politiques que la situation présente du pays peut opposer, nous versons au débat une des conceptions de l'identité des Français sur laquelle tout dialogue est toujours possible aussi bien entre Français, qu'ils soient dits de souche, de hasard, d'histoire ou de coeur, qu'avec tous les francophones ou les étrangers qui s'intéressent à ces problèmes.

Notre très cher Président*,

             Compte tenu du poids que pèsent la France et ses locuteurs dans le devenir de notre langue commune, je ne peux parfois que m'interroger sur ce que ces "maudits Français" ont dans le crâne ou dans le ventre, chaque fois que leur comportement culturel, politique, historique, souvent imprévisible, me parait menacer l'avenir du français. Aussi, lorsque je suis trop agacé, lorsque certains actes portent atteinte à ce qu'un de mes disciples préférés appelle "une certaine idée de la France", je me dis, très en colère, avec Montesquieu :

"Comment peut-on être Français ?"

             Parce qu'au fond, tout étranger francophone que je sois demeuré jusqu'en 1766, je serais bien incapable de dire si c'est de la langue ou de l'histoire que je tiens l'attachement que j'ai à l'endroit de la France.

             Depuis qu'un jour de printemps du cinquième siècle, mes chevaux se sont arrêtés sur les bords de la Meuse endormeuse, peut-être à Harreville-les-Chanteurs, non loin de Domrémy, une lente osmose entre la terre et l'idiome m'a enraciné dans la France. Au point qu'il serait impossible aujourd'hui d'extraire ces racines sans arracher le bonhomme avec.

             Est-il indifférent pour le Wallon que vous êtes de gratter un peu ces racines, comme le ferait un coq gaulois, et de voir ce que c'est pour un Français… que de l'être, ne serait-ce que pour comparer comment, les uns et les autres, venus de terroirs physiques et culturels proches mais différents, nous sommes liés à notre commune langue ?

             En d'autres termes, plutôt que de faire une vaste synthèse à la Braudel, voulez-vous jeter un regard ingénu (ou faussement ingénu), faire un peu d'entomologie, et, au-delà des grands panoramas, voir un peu ce qui se passe au travers d'une loupe. Alors, même si tout ceci ne concerne qu'un individu et ses fantasmes, vous serez peut-être surpris de voir ce qui me fait marcher ainsi qu'un certain nombre de mes compatriotes…

             Ma façon de procéder sera celle du portrait chinois : si c'était une fleur, quelle serait la fleur qui représente le mieux la France ?

Ici, la réponse est facile, presque tout le monde vous dira  : le lys, alors qu'on sait très bien que c'est l'iris des marais (Iris pseudacorus !) si abondant sur les humides bords des Capétiens entre Noyon et Crépy-en-Valois.

À l'aube de la France, nous voici déjà pris en défaut de cartésianisme…

             Mais dans d'autres domaines aussi, vous verrez que la réponse n'est pas si aisée que cela.

Cher Président, vous avouerai-je que je me sens Français du bout des orteils à la pointe de mes cheveux, sans oublier le cœur ni les tripes. Et, en plus, avec des racines aussi puissantes et chevelues que celles de la Gaule du même adjectif. Car, Franc ripuaire - on ne dit pas Franc mosan, ni Franc mosellan, même si c'est plus juste pour ce qui me concerne, j'ai tout de même  adopté ce vieux pays. Aussi, tout comme les petits Sénégalais, je peux perroqueter : "Nos ancêtres les Gaulois" et, avec cinq siècles de retard, j'ai bu toute la lie d'Alésia.

Ce dernier fait, vous le comprendrez, suffit pour établir une certaine distance avec les Latins, distance que même les éléphants d'Hannibal n'ont pu me faire franchir. C'est pourquoi, si je suis Français, ce n'est pas par Rome que je le suis, mais par la Grèce…

Il a plu à Dieu de me donner un professeur de grec qui ne prétendait pas nous apprendre le thème mais nous faire travailler directement sur les textes avec le manuel du Révérend Père Fontoynont SJ, quelques grilles de désinences, l'alternance thématique, des notions de phonétique et de combinatoire, et surtout pas de grammaire. Cette méthode favorisait une certaine familiarité avec la langue des dieux, des archontes et des sycophantes, dans toute sa fraicheur melliflue. Elle a, las, coulé dans ma mémoire comme le sable au travers des doigts d'un enfant, mais c'était celui, miroitant et doré, du Pactole.

Il n'y a pas très longtemps, on entendait dire : "L'Algérie, c'est la France".

Si je vous dis : "la Grèce, c'est la France", il me semble que la seconde proposition est plus vraie que la première, encore que Camus a surement murmuré dans Noces à Tipasa  : "l'Algérie, c'est la Grèce".

Dans une de ses récentes lettres, Alexandre (le Grand bien entendu) ne m'écrivait-il pas :

"J'aime l'aube. Elle est le salut des dieux à l'humanité qui s'éveille. Elle est la fraction la plus rigoureuse, la plus épurée, la plus rationnelle du jour. Lavée des brumes, elle souligne du même trait sans épaisseur les collines, des extrémités du Péloponèse jusqu'aux confins de la Thrace.

             Vraiment, je la crois nôtre, non pas seulement parce qu'elle est la clarté mais parce qu'elle dissipe les enchantements maléfiques et les incertitudes de la nuit. Loin de la noire ubris, née de l'obscurité, sa lumière précise borne le monde, cerne les êtres et les choses comme la seule mesure concevable de l'univers. Ce qui, sans elle, ne serait qu'un amas confus d'impressions, se situe, s'ordonne et se hiérarchise, du proche au lointain, de l'infime à l'immense. Si nous ne l'avons jamais dit, nous, Grecs, nous considérons nos yeux comme les plus précieux des instruments dont nous ont doté les dieux et comme les plus sûrs des auxiliaires de la raison."

Et, de fait, je me rappelais cette nuit où, à l'insu de tous, nous avions tous deux galopé comme des fous jusqu'au Cap Sounion, rien que pour voir le soleil se lever sur la mer.

Ce matin là, dans son amour de la lumière, il m'avait paru bien Français aussi, mon pote Alexandre !

Ce n'est pas que je sois insensible à l'obscure clarté, au silence éternel des espaces infinis, aux chants des Floridiennes dans les nuits du Meschacebé, ou même à la faucille du moissonneur de l'éternel été, mais franchement, si j'avais à désigner le plus français des tableaux du Louvre, je choisirais justement celui de Poussin peint en plein midi, roi des étés, quand Booz, clignant des yeux au grand soleil, aperçut Ruth penchée sur les épis... D'ailleurs vit-on céréales plus plantureuses que celles de Poussin ? D'évidence, les blés de Booz sont ceux de Beauce…

Et puisque nous parlons de la Bible, me reprocherez-vous de l'avoir oubliée dans les racines de la France ?

Me tromperais-je en avançant que le Nouveau Testament nous a plus marqué que l'Ancien, à la différence des Allemands ou des Anglo-saxons ?

Ce n'est pas vrai, certes des Suisses francophones, je veux dire des Calvinistes.

Le bon roi Henri ne me démentirait peut-être pas, lui pour qui Paris valait bien une messe.

Donc, pour en revenir au sujet, c'est incontestablement Jésus qui est Français, pas Dieu le Père.

Donc, il l'est par sa mère. La floraison gothique des Notre-Dame, de Noyon à Beauvais, le prouve surabondamment. N'y a-t-il pas au fait quelque chose de la furia francese dans cette espèce de crânerie des chanoines et des évêques à vouloir chacun pousser sa cathédrale plus haut que celle du voisin ? Nous avons un certain goût pour les records sans lendemain… Dieu me garde de comparer Beauvais au Concorde ou au France

Toujours sur le chapitre de la religion, il y a, je pense, une ligne française, humble et lumineuse, une intelligence du cœur, qui peut-être d'origine franciscaine, chemine du haut Moyen-Âge à l'abbé Pierre, en passant par Jean du Vergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, la mère Angélique, Vincent de Paul, Fénelon, Charles de Foucauld, et d'autres que j'oublie, avec des milliers de nuances bien sûr.

Cela est très loin de Richelieu ou de Bossuet qui, exceptionnels, me paraissent au total moins représentatifs et aussi plus durs…

Pour l'histoire, deux cathédrales ont retenu mon attention : la romane, celle de Bayeux, dont la pierre si blanche fait oublier qu'elle a été inaugurée par Guillaume le conquérant et reprise par de Gaulle… et la gothique, celle de Laon, avec ses bœufs dominant ses tours ajourées. Pour l'art, il n'est pas interdit de préférer Chartres ou Amiens, Reims ou Paris, voire Albi.

Mais si l'aventure romane est paneuropéenne, la conquête de la lumière par la croisée d'ogives et l'arc&endash;boutant, mariant l'élégance et l'économie, est purement le fait de la France. L'élan architectural et mystique s'y marient dans la pierre et les vitraux dans une réussite qui fut unique et éblouit toute l'Europe.

Pour les abbayes, curieusement les miennes sont romanes :  Conques, Montmajour et je ne cesserai jamais de pleurer sur Cluny…C'est toujours la lumière que je vois au travers de leurs verrières ou, comme à Montmajour, les grandes fenêtres ruinées du XVIIe siècle s'ouvrant sur le ciel. J'allais oublier Verdun, méconnue, ottonienne à deux chœurs, dont les obus allemands ont rouvert un portail roman noyé dans la muraille et qui eut jusqu'à sept tours dans le temps de sa splendeur…Ma Meuse est la vôtre, et réciproquement.

Je divague comme un fleuve ivre dans une plaine trop large et je ne sais plus par quoi continuer.

Alors, des églises, puis-je glisser aux sites et à l'architecture?

À quelques encablures de Fontevrauld, je voudrais vous livrer le secret d'un des plus beaux paysages et qui, selon moi, symbolise la France. Il est peu connu mais il occupe une très grande place dans mes fantasmes architecturaux. Il est une quintessence du Val-de-Loire, lui-même quintessence de la France : du Bellay ne l'aurait pas renié.

Au confluent avec la Vienne qui bouscule le fleuve vers l'ouest-nord-ouest, un ravissant village d'ardoise fine, niché au ras de l'eau et des plantes aquatiques : Candes-Saint-Martin,  dresse un promontoire de tuffeau qui, sur une bonne dizaine de kilomètres de profondeur, commande en amont la vue sur l'axe de la Loire. Ce n'est pas grandiose, c'est sublime de mesure et d'équilibre ! J'aurais voulu y construire un logis Renaissance et y édifier un grand bassin à débordement en forme de canal, prolongeant directement le fleuve sur la colline et le faisant ainsi rentrer dans la maison…Les hirondelles du matin qui glissent sur le fleuve s'y méprendraient.

Des paysages, vous pensez bien que j'en ai l'embarras du choix.

Mais laissez-moi un mot sur la Provence.

J'ai beaucoup regardé le pays. Sa géographie physique n'a finalement rien d'exceptionnel mais il existe, surtout dans le Vaucluse, une incomparable qualité de lumière transfixiante. Ailleurs, les oliviers seraient asthmatiques, les cyprès sépulcraux, les peupliers des balayettes ! Là, ils sont vêtus d'élégance et de grâce. Comprenne qui pourra, mais c'est ainsi…

La démonstration sera faite un matin très tôt du haut de l'éperon de Venasque. D'abord, pour vous égarer, je vous mènerai sur le plateau parmi les lambrusques, les pins d'Alep et les chênes verts. Un essaim voletant de papillons se lèvera sous vos pas ; vous piétinerez les lavandes. Puis, je vous ferai plonger dans l'ombre d'une combe. Au son de l'angélus, gravissant le rocher, vous serez revivifié par la lumière du baptistère qu'un évêque oublié du cinquième siècle édifia. Je ferai comparaitre le Ventoux et les Dentelles de Montmirail, vous aurez à vos pieds Beaumes-de-Venise, Notre-Dame d'Aubune et le château du Barroux…

Notez que je n'ai parlé ni de muscat, ni de tapenade. Vous en aurez assez dans les yeux pour ne pas penser à la langue…

Pourtant, il est bien français de parler de mangeaille. Récemment, faisant une semaine de marche avec trois amis, dans le Haut-Atlas, essayant de m'imbiber du pays, si différent de notre univers, j'ai eu la surprise de constater que mes compagnons consacraient plus de 35% de leur temps à parler de cuisine et de vin.

Ma France n'est pas celle-là.

Je pourrais encore vous accabler de paysages qui sont, chacun, à lui tout seul, la France.

Permettez-moi le parc du Château de Courances, près de Milly-la-Forêt. J'oserai dire qu'il est le plus racinien de nos paysages, je veux dire le plus épuré. Là, pas de tape-à-l'œil comme chez ces parvenus de Vaux-le-Vicomte ou de Versailles. Un grand axe de pelouse avec un simple et grand miroir, un bassin circulaire, l'eau qui affleure directement au ras de l'herbe sans même la transition d'une margelle, des haies de buis taillés que dominent les frondaisons, une géométrie rigoureuse dont la nature seule fait l'architecture et, un peu à l'écart, cachées sous les ramures horizontales des hêtres, des cascatelles dont la lame d'eau silencieuse et limpide s'écoule de nappe en nappe sous la garde de loups de pierre. C'est vraiment très chic.

Pourrais-je éviter de parler de la vallée de la Dordogne ?

En 1971, commençant la rédaction du premier vocabulaire de l'environnement du monde &endash; oh ! ce n'est pas un exploit -, j'avais demandé à Philippe Rossillon de me trouver un bel endroit de France pour faire travailler notre groupe. Sur sa suggestion, M. Grosso, propriétaire du château de Beynac mit gracieusement à notre disposition deux salons du XVIIe siècle dominant la rivière d'une centaine de mètres. Qu'on se figure les tours émergeant de la brume du matin, la paisible vallée plantée de grands peupliers, les toits de tuiles plates du village, les jardinets fleuris au pied de la falaise, et jusqu'au lavoir rustique adossé à un monument aux morts peint d'une épitaphe que n'aurait pas renié Léonidas aux Thermopyles, tout le charme du Périgord noir était là. Ce qui en fait la beauté est la merveilleuse répartition des rivières, champs, bois, ruisseaux, prés, moulins, manoirs ; la plus modeste chaumière y est aussi belle que le plus beau château, parce qu'elle est joliment proportionnée, juste à sa place, faite des mêmes matériaux, toute en mesure, toute de mesure, de mesure humaine, au fond celle de Montaigne…

Si la France est une capitale des paysages, ce n'est pas parce qu'elle offre les plus majestueux, les plus grandioses, mais parce que sur un territoire somme toute réduit, elle offre un nombre considérable de petits pays variés qui ont su, chacun, conserver leur charme et leur originalité en dépit des agressions du modernisme, du commerce et des industries.

Alors, encore une image ?  Et j'en aurai, à regret, fini.

Dans les Pyrénées orientales, sur la rive droite de la Tet, en aval de Prades, non loin de Saint-Michel-de-Cuxa, en plein pays catalan, sur une dizaine de kilomètres tout au plus, s'élèvent des terrasses alluviales qui dominent la rivière mais jouissent aussi d'une vue imprenable sur un Canigou enneigé, très façon Sierra Nevada. Il y a des droits d'eau et des séguias.

Au milieu des floraisons de pêchers et d'abricotiers, on aurait bien envie de donner une sœur catalane à l'Alhambra…dans l'intimité des patios et la fraicheur des belvédères.

J'ai parlé à Courances de paysage racinien. Est-il plus facile de faire comprendre ce que serait, ou est, une architecture racinienne ?

Je serais tenté de vous entrainer à Marseille, à la Vieille Charité plus précisément. Dans une vaste cour à deux rangs superposés d'arcades, comme celle des Invalides, une chapelle de Puget au plan en forme de mandorle éblouit par sa simplicité : le jour n'est pas plus pur…

Mais il y a mieux encore je crois. Bien sûr, c'est en Lorraine. Si vous n'avez pas traversé tous les jours de votre enfance la place Stanislas et la Carrière de Nancy où habitait ma grand-mère, si vous n'avez pas vu le soleil du soir dorer, non pas les grilles, mais chacun des carreaux des fenêtres de l'Hôtel de ville, vous n'aurez pas l'intuition de ce qu'est l'aristocratie dans l'architecture. Ajoutez que des trois grands ensembles architecturaux français du XVIIIe siècle, les deux autres, ceux de Nantes et de Bordeaux, ont été bâtis avec l'argent de la traite des Noirs : ce ne fut pas le cas du nôtre. Nous avions renoncé à ce commerce depuis le onzième siècle et du reste, c'est dans la banlieue de Verdun que nous le faisions…

Dieu nous l'a fait payer avec usure.

J'ai peu parlé de la Bourgogne où vous avez des attaches. C'est que je suis peu familier des grands vins et de la cuisine de ce pays mais c'est surtout la faute à… Charles le Téméraire. Un des plus grands gâcheurs de l'histoire, vous en savez quelque chose, vous les Wallons. Mais c'est bien moi qui lui ai fendu la tête d'un coup de pertuisane et qui l'ai fait dévorer par mes loups. Je ne passe jamais sans une certaine satisfaction dans la grand'rue de Nancy pour voir le rectangle pavé, marqué de la date 1477, où son corps fut exposé au lendemain de la bataille. Les Lorrains bénéficient d'une bulle papale qui les autorise à sauter la phrase du Notre-Père enjoignant de pardonner à ses ennemis. Vous n'imaginez pas combien cela rend la religion attrayante… C'est aussi pourquoi nous avons notre église à Rome, Saint-Nicolas-des-Lorrains, construite en travertin des ruines du Circus maximus tout proche, bâtie en 1636, date précise à laquelle la bonne ville de Verdun, toujours elle, ouvrait son marché de chair humaine pour cause de guerre de Trente Ans.

J'ai beaucoup trainé en chemin, car j'hésitais à aborder un domaine que vous connaissez mieux que moi, je veux dire celui de la littérature. Comment oser dire qu'un écrivain, qu'une œuvre sont plus français qu'un ou qu'une autre ? Cela relève pratiquement du procès d'intention. Pourrais-je ainsi affirmer que le Suisse Jean-Jacques est plus français que l'Ardennais Arthur ? Y-aurait-il un critère objectif pour dire ce qui est français dans la littérature française et ce qui ne l'est pas ou l'est moins ? Assurément pas. Là, je crains, tout est subjectif.

Mais je me lance quand même, ces précautions prises.

Deux spécialités seraient plus françaises, dis-je, en avançant sur la pointe des pieds : les maximes et le roman.

Un seul nom, très au-dessus des autres pour chacun des deux genres :  La Rochefoucauld, si l'on admet maintenant qu'il a largement collaboré à la rédaction de La Princesse de Clèves. Aucun roman, à mon humble avis, n'a atteint la justesse d'analyse de la Princesse… Quant aux Réflexions ou Sentences et maximes morales, j'ose affirmer que le sommet de la littérature française est cette simple phrase :

"L'absence diminue les médiocres passions et augmente les grandes, comme le vent éteint une bougie et allume le feu."

Quand j'avais dix-sept ans, j'aurais tout donné pour La Chartreuse de Parme.. Quand je la relis aujourd'hui, j'ai peine à retrouver ce qui m'avait tant plu… Et pour De l'amour, franchement, c'est un ramassis de recettes d'arrière-cuisine qui ne vaut pas, et de loin, Le collier de la tourterelle de l'andalou Ibn Hazm pourtant écrit en 1027.

Très français aussi Zadig, n'est-ce pas ? Quoique que je ne sympathise pas beaucoup avec Voltaire. Musset et Verlaine, étrange couple qui ne fut pas celui de l'Histoire. Archifrançais aussi, je pense, Mérimée. Enfin, je ne peux oublier l'extraterrestre, l'Icare de la poésie française, l'archange plumé, Rimbaud, aussi miraculeux dans son genre que Jeanne d'Arc dans le sien…, et pour finir, Radiguet et Boris Vian…

Il est tellement difficile de dire qui est plus français que d'autres :  on risquerait, très injustement, d'éliminer Corneille, Bossuet, Chateaubriand, Malraux, Camus  et quelques autres, au premier rang desquels La Fontaine.

Mais qu'est-ce donc qui est si français chez la Fontaine ? Peut-être une certaine façon de parler légèrement des choses sérieuses, une morale tout humaine, une façon de corriger sans illusions les mœurs par le sourire, une alacrité de la plume et du ton ?

J'allais oublier Barrès, mais il est vrai qu'il est Lorrain, peut-être un peu espagnol, vénitien, syrien sur les bords ?

Enfin, un tout petit peu en marge de la littérature traditionnelle, je voudrais dire un mot de Montesquieu.

Quand je suis parti faire mon service militaire avec, en poche, les Mémoires du Cardinal de Retz, les Lettres de Mme de Sévigné, et les Mémoires de Saint-Simon, j'ai eu la chance qu'un ami de mon âge m'a offert L'Esprit des lois. Sur les pitons d'Algérie, vous ne pourrez savoir, entre les deux guerres que j'étais obligé de faire aux armées algérienne et française pour protéger « ma » population, combien  la raison et la droiture de Montesquieu m'ont été utiles quand tout était tordu autour de moi. Il m'a peut-être aidé à garder les mains propres.

Là-bas, là-bas dans la montagne, comme le chante Carmen, je puis vous assurer qu'il n'était pas du tout indifférent d'avoir une idée de la France et de tenter, chaque matin, de l'incarner.

Pour tous, écrivains, philosophes, hommes politiques, prédicateurs, poètes, si divers, il est beaucoup plus difficile de les faire rentrer dans la "boîte" France, (comme ce Guillaume le conquérant, devenu obèse dans son grand âge et qui, tombé de son cheval non loin de La Bûcherie, cousu dans une peau de bœuf à la mode normande, ne voulait pas rentrer dans sa bière et explosa de façon très nauséabonde quand on l'y força), que de montrer qu'ils en sortent…Je veux dire qu'ils échappent à la catégorisation mais que leur francité s'impose hors de toute analyse.

Il faut tout mon parti pris et toute ma mauvaise foi pour appuyer mes divagations, mais, avec les yeux de mon cœur, comme dit le renard de Saint-Exupéry, je vois !

Alors pour faire une nouvelle tentative afin d'éclairer ce qui serait représentatif de la France, je voudrais vous proposer de remplir un "loft" littéraire puisque c'est la mode.

Du côté des filles, choisissons, si vous le voulez bien, une bonne espagnole du XVIe arrondissement, Chimène, une aristocrate, Madame de Clèves, une étudiante italienne, Corinne, une dame sur le retour, "la fille de Minos et de Pasiphaé", une pasionaria, Mathilde de la Mole, une mère de famille, Andromaque, une femme au foyer, Mme Jourdain, une pure parmi les pures, Antigone (celle d'Anouilh), trois garces (j'aurais pu en trouver davantage !), Célimène, Colomba et Carmen.

Et du côté des garçons, un carreleur parmesan, Fabrice, un immigré clandestin, Zadig,, un petit Saint-Cyrien, d'Artagnan, un domestique, Ruy Blas, un coiffeur, Figaro, un chômeur breton, René (ce n'est pas l'effet du hasard si aucun n'a ses quatre grands-parents parisiens), un gamin des rues, Gavroche, un râleur, Alceste…sans oublier le Chat botté.

Oh ! là là ! Que d'amours splendides…

Croyez-moi. Cela chaufferait.

Y-a-t-il une façon française d'être militaire ?

Vous allez m'accuser de pousser le bouchon un peu loin.

Pourtant, je ne crois pas qu'on trouve dans d'autres nations des figures comparables. D'abord notre plus grand homme de guerre est une très jeune fille (Ô Descartes… avec la féminisation, on devrait dire notre plus grande homme de guerre). Cette Jeanne d'Arc, en coquetterie avec les autorités constituées, c'est tout de même elle que nous avons faite patronne de la France, puis Condé et Turenne, Galliéni, Lyautey, de Gaulle, Leclerc, observez que ce sont tous des militaires qui désobéissent en tant que de besoin…Kellermann à Valmy, Desaix à Marengo, Bonaparte, s'il avait été tué au pont d'Arcole, nous exigeons de nos soldats de la lumière…Même des poilus  Fournier, Péguy ou Pergaud.

J'ai dit lumière. Il me semble que c'est le fil que j'aurai suivi pour vous parler de la France, et même au pluriel : les Lumières.

La croyance en la puissance de la raison, qui parait déjà chez Montaigne et Rabelais, s'épanouit chez Descartes et sous-tend l'argumentaire des orateurs sacrés du XVIIe et de tous les philosophes français du XVIIIe siècle jusqu'à ce que Rousseau lui substitue la logique du sentiment, n'est-ce pas une des caractéristiques de la France ? Beaucoup plus encore que l'Aufklärung n'est celle des Allemands rapidement transformée par le piétisme et le Sturm und Drang ? En pleine Révolution, alors et peut-être parce qu'ils ont complètement perdu la tête, les Français vont faire de la Raison…une déesse !

D'une façon générale, on reconnait un Français à ce qu'il invoque la raison pour déraisonner.

Et pourtant, L'Encyclopédie n'est-elle pas le plus grand monument jamais édifié à la raison?

Certains l'ont rêvée. Nous l'avons faite…

Je confesse que mes affirmations présentes sont peut-être davantage fondées sur une foi, sur une croyance, que sur des certitudes et que ma recherche de ce qui serait l'esprit de la France n'est à près tout qu'un écrémage circonstanciel, que j'attrape au vol des personnages, des idées et des images pour les faire tournoyer dans un kaléidoscope qui n'a de cohérence que mon regard, que je ferais de l'impressionnisme en quelque sorte…

Eh oui, l'Impressionnisme est d'abord et avant tout français. Ce n'est pas la peine de le démontrer, même s'il faut rendre à Turner et à Whistler ce qui leur est dû. Tout à l'heure, fasciné par Poussin, j'avais tendance à lui donner une sorte de monopole de représentativité de la France. Quod scripsi, scripsi, mais je dois convenir qu'il y a en peinture française, une autre ligne qui est au reste proche de celle des religieux que j'ai cités, celle de la lumière intérieure,  et qui va de Philippe de Champaigne, flamand annexé, et des frères Le Nain à Chardin et qui ressurgira, toujours selon moi, chez Corot, grand-père des Impressionnistes. Alors, Cézanne, Manet, Monet, Bazille, Morizot, Degas, Sisley, Pissaro n'iront pas chercher la lumière telle qu'elle tombe des cieux dans les grandes machines historiques ou bibliques mais, comme leurs devanciers du XVIIe siècle, dans les reflets qu'elle arrache aux cuivres, aux pies, aux coquelicots, à la neige, aux tutus des danseuses, aux objets de la vie quotidienne.

Pointilliste, impressionniste ou ce qu'on voudra, je l'aurai été dans ces quelques pages, plus soucieux encore d'affirmer que de prouver. Beaucoup trop subjectif, beaucoup plus subjugué qu'objectif.

J'ai gardé la musique pour la fin… En effet ce n'est pas une spécialité qu'on considère comme très française, face aux Mozart, Bach, Beethoven et autres qui occupent le devant de la scène. J'aurais pourtant tort de l'omettre.

N'y a-t-il pas en effet une veine de musique très française qui coule, je crois, par Rameau, Couperin, peut&endash;être une moitié de Chopin, puis Bizet, Debussy, Ravel, Satie et Milhaud, pour finir, si j'ose ainsi m'aventurer, par Boulez.

Il est très téméraire de vouloir tout catégoriser et de jivariser ce qui est infiniment plus complexe, mais si les Autrichiens et les Allemands ont peut-être consacré le plus sublime de leur musique à la prière, les Anglais aux solennités royales, les Italiens à la passion et à l'amour, il me semble que les Français ont, dans ce domaine, fait œuvre originale de physiciens en décomposant en quelque sorte la musique en ses particules les plus élémentaires pour ensuite la transmuter, non pas en or, mais en quelque chose de beaucoup plus fluide, ténu, impalpable, en myriades de gouttelettes d'eau et de lumière, en sources et reflets, ruisselets et miroirs, cascatelles et arcs&endash;en-ciel.

Et cette eau et cette lumière nous ramènent encore au grand dessein de Versailles, où le Conseil international de la langue française a tenu sa première assemblée générale en octobre 1968.

Il me semble cependant que mon tableau manquerait singulièrement de force si je ne disais pas que l'esprit de la France est d'abord dans sa devise. Elle n'a rien perdu de sa force et de sa nouveauté dans la mesure où nous l'avons, hélas, bien peu pratiquée au cours de l'Histoire.

Mais je suis certain qu'aucun Français ne la remet en cause et que même des gens qui lui tournent le dos dans leur vie de chaque jour, comme certains communistes ou membres du Front National, croient encore y adhérer, tout en en faisant une lecture perverse. Dans leurs délires les plus criminels, ils n'oseraient pas la renier.

Dans un article pénétrant, Jacqueline Picoche montre excellemment que le mot fraternité est un peu tardif dans la devise : il est venu, pourrait-on dire, comme le Paraclet, compléter ce que les seules liberté et égalité avaient d'un peu sec… Notre amie note que la notion de fraternité, mais pas le mot, n'apparait pour la première fois que dans la Charte octroyée de Louis XVIII en 1814, ce qu'on aurait plutôt attendu d'un régime républicain, et qu'il faut attendre 1848 pour que le terme figure expressément dans la Constitution.

En effet, si j'en crois le numéro spécial du Français moderne publié pour le deuxième centenaire de la Révolution française, dans le texte de Barrère du 8 pluviose an II sur la langue fraçaise et l'usage des dialectes, il est fait mention de "l'accent vigoureux de la liberté et de l'égalité" sans que la fraternité soit évoquée. Quant au mot frère, on le rencontre parfois, notamment chez un jacobin, Sylvain Maréchal, sous la forme : "Mais aujourd'hui que nous sommes tous égaux, tous frères, parlons-nous avec franchise et décence" ou bien sûr dans l'expression "frères d'armes", mais il n'est pas davantage question de fraternité.

J'en tirerais bien pour ma part la conclusion que notre devise s'est peu à peu perfectionnée, et donc qu'elle est encore perfectible. Aussi suggèrerais-je aux législateurs de rajouter à nos trois mots : "pour de vrai" lors de la prochaine réforme de la constitution.

Récemment, peut-être pour éviter ce que la devise a de solennel et de sacré, ils en ont fait un modèle réduit, réduit aux trois couleurs du drapeau : black-blanc-beur. Qu'elle ait surgi à l'occasion d'une coupe du monde de foute-balle, bousculant le racisme ordinaire, cette unanimité, trouvée dans un moment trop rare de communion et d'exaltation national(iste), n'empêche pas que je me retrouve asez bien en elle…

Il y a en effet chez les Français un côté messianique qui exaspère les étrangers et les irrite d'autant plus que les donneurs de leçons ne se les appliquent pas à eux-mêmes. Nous sommes aussi persuadés que les Américains que notre modèle est le bon : "la frog way of life" en quelque sorte…

Et nous, qui avons été appelés "la fille ainée de l'Église", nous ne considérons pas seulement la France comme "mère des arts, des armes et des lois", mais comme mère de la liberté, lorsque nous offrons aux États-Unis la statue qui orne l'entrée du port de New-York. Il y a un peu de condescendance dans ce cadeau, comme dans la remise à M. Bush par M. Chirac, le 6 juin 2004, d'un exemplaire de La démocratie en Amérique de Tocqueville : "Lis donc ça, mon vieux, cela pourrait t'apprendre des choses sur ton propre pays"…

S'il y a maintenant longtemps que nous ne faisons plus de rivarolisme linguistique, si nous ne prétendons plus imposer aux nations notre langue comme langue universelle, nous croyons encore que la devise de la République a une valeur d'universalité. A la condition bien sûr de ne pas privilégier un des termes au détriment des deux autres. Ce serait trop facile : les Américains offrent liberté et égalité sans fraternité, les Russes de Staline prétendaient donner égalité et fraternité sans liberté

Assurément, nous ne sommes pas meilleurs que les autres et notre histoire comporte, hélas, un certain nombre d'épisodes honteux mais il est certain que notre devise nous confère des obligations que les autres peuples n'ont pas…

La francophonie ne serait-elle pas le premier des champs d'application de cette devise ? Il me semble que nous ne serions pas au chômage si nous décidions de la mettre en œuvre dans nos relations avec tous les peuples du monde francophone…

Cela va beaucoup plus loin que notre travail sur les mots ou sur l'expression. Mais sur le long terme, on ne peut laisser évoluer le discours et les actes sans mettre entre eux un minimum de convergence. Il est peut-être plus facile de laisser s'établir une langue de bois conforme à la courte vue d'une politique qui n'est plus une action au service d'une pensée, mais il me parait que ce serait conforme à l'esprit de la France que de repenser la francophonie et de traduire dans la dure réalité cette pensée. Le poids des mots, le choc des actes.

Cher Président, je ne sais pas si j'ai réussi à faire percevoir comment je vois la France depuis les confins de la Lorraine et du Barrois. J'ai tenté d'en saisir quelques-uns des aspects qui me paraissent relever de son essence mais je reconnais que j'ai peut-être, à ma façon, idéalisé la belle…

             Dans ses contradictions, elle est en fait très insaisissable et si je me suis appliqué à l'exercice, c'est peut-être un peu par dépit qu'elle ne soit pas conforme à mes rêves. Il y a, selon le sujet de dissertation bateau, la France peinte comme elle est, celle de Racine, et la France, comme elle devrait être, celle de Corneille. Au rebours de mes gouts littéraires, mes gouts religieux, car il s'agit presque de religion, me portent vers la France de Corneille, telle qu'elle devrait être.

Lorsque vos amis m'ont demandé cette contribution dans un domaine où mes compétences sont des plus limitées, j'ai reconnu que "Le soleil, ni la linguistique, ne se peuvent regarder en face".

Alors j'ai fait comme ce laquais qui allait être roué, dont parle La Rochefoucauld dans sa très belle page sur la mort : pour éviter de la voir, il a concentré son attention sur ce qu'il savait faire et il a dansé.

Cher Président, moi qui ne sais pas danser, que pouvais-je faire ? J'ai donc gratté, comme je l'avais fait sur la face nord des ambassades, dans les bureaux de la République, et comme j'ai continué à le faire dans notre commune entreprise. En pensant à vous et à tout ce qui nous rapproche, pour la vitalité de notre langue et de la francophonie. Dois-je avouer que j'ai pris quelque plaisir à cette transgression que Pascal aurait sans doute appelé un divertissement?

* Communication de Hubert JOLY pour les Mélanges offerts au Pr. André Goosse, Président du CILF à l'occasion de ses 80 ans. Bruxelles, mars 2006

12 janvier 2007

Méditerranée

IMG_1562  La civilisation s'arrête-t-elle là où s'arrêtent les embruns de la Méditerranée?

En reprenant toutes ces impressions de voyage qui s'étalent sur une vingtaine d'années, je ne me sens, moi le lorrain, que méditerranéen.

Sur les bords de cette mer, que ce soit sur les débris de la Grêce, sous les voûtes baroques, ou dans les montagnes de l'Afrique du Nord, j'ai le sentiment de participer davantage à l'humanité.

Là, le tragique de la condition humaine se révèle plus crûment que sous l'apparat des oripeaux dont l'Europe le dissimule. Le contraste entre richesse et pauvreté, pouvoir et dépendance, est plus criant qu'au Nord, le sentiment de la jeunesse qu'elle est sans avenir, plus aigu.

Nous voyons mieux les défauts des autres que nos insuffisances et nous avons beaucoup de mal à accepter qu'ils ne suivent pas notre modèle. Nous sommes prêts à leur laisser le pittoresque, le chèche et la cuisine épicée, mais nous avons peine à admettre qu'ils puissent avoir d'autres objectifs, d'autres valeurs.

La tolérance exige un effort conscient et renouvelé que chaque impact d'étrangeté ou d'inattendu peut remettre en cause chaque matin.

Car ces pays sont tout autant envoûtants que décourageants.

On redira une fois de plus le charme de la civilisation arabo-musulmane sous les cieux sub-arides. Le mariage de l'exhubérance végétale et de la ruine islamique exerce un attrait inépuisable peut-être dû à un triple dépaysement, humain, végétal et architectural. Ce monde inégalitaire, violent, totalement injuste, a besoin d'être regardé à travers ces prismes pour être supportable. Encore ne le serait-il sans doute pas longtemps si nous n'avions pas la faculté de le quitter dès qu'il nous lasse. Au moins sert-il de repoussoir au nôtre, comme le nôtre lui rend un service identique.

Hubert JOLY 1988

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